La toute première crèche de Noël est attribuée à saint François d’Assise en 1223. Par la suite, la représentation de la Nativité s’est développée fortement durant la seconde partie du XVIe siècle avec le mouvement artistique baroque. La crèche a été à cette époque un outil pour la réévangélisation en Europe et pour lutter contre la réforme protestante.
La Provence n’échappe pas à ce courant et les crèches se multiplient dans les églises. Le XVIIIe siècle voit apparaître de petites crèches chez les particuliers les plus fortunés. C’est dans ces crèches personnalisées qu’apparaissent les premiers personnages « du petit peuple » marseillais qui viennent apporter des offrandes au nouveau né.
La population s’approprie peu à peu cette nouvelle coutume et y intègre sa vie quotidienne. Face à cela l’Eglise ne dit rien et laisse se mêler la dimension sacrée et la dimension profane. A Marseille, cette tradition devient un attachement tout particulier après le rétablissement, par le Concordat de 1802, de l’autorisation des crèches dans les maisons qui avait été supprimée durant la révolution.
A partir du XIXe siècle, « faire la crèche » devient pour les Marseillais une presque obligation. les figurines en terre, peu couteuses alors, démocratisent cette pratique qui se couvre alors d’un fort régionalisme provencal. La crèche des santons devient une référence identitaire incontournable. Les santonniers deviennent de plus en plus créatifs et ils s’inspirent des scènes de Noël jouées alors dans les théatres : les pastorales. Certaines troupes ont une salle fixe comme celles de Château Gombert ou d’Allauch (lou triatre dou terraire d’alau). Peu à peu pastorales et santons se mêlent en une histoire complexe, parfois rocambolesque mais toujours axée autour de la Nativité.
La plus renommée des pastorales est sans doute celle créée par Antoine Maurel au siège du Cercle Catholique Ouvriers, rue de Nau. Elle raconte en langue provençale et en cinq actes la naissance de Jésus dans un village de Bethléem transposé en Provence. L’ange annonce la nouvelle aux bergers qui la transmettent à différents personnages de caractères : l’aveugle à qui on a volé son fils, le meunier qui vit seul avec son chien, le rémouleur qui aime bien « lever le coude », le bègue, le pistachier qui est peureux et tant d’autres encore… Tout ce petit monde, représenté en costume Louis Philippe, s’invective, se « rabiboche », s’interpelle, plaisante et se fait des blagues. Puis tous se mettent en chemin vers l’étable pour voir « lou tant bèu pichot » (le si bel enfant) et « lo santo vierge » aux couleurs bleu et blanc de la ville de Marseille.
Le dernier acte est l’Adoration : chaque personnage vient rendre hommage à l’enfant Jésus et quelques miracles se produisent. L’aveugle retrouve la vue et récupère son fils, le « boumian » sympathise avec le gendarme, le bègue retrouve la voix et ceux qui étaient brouillés se réconcilient. La pièce se termine par le chant « O Rei de glori » (O Roi de Gloire) qui exprime toute la joie de la Provence. Les santons de terre sont la figuration de ces scènes et de bien d’autres avec la représentation de tout le petit peuple chrétien et de tous les métiers.
Au-delà de la coutume chère à tous les amis de la provence, cette crèche des santons reste un exemple magnifique de l’appropriation de la dimension sacrée par chacun de nous. Le Christ qui se revêt de notre humanité est représenté dans une proximité qui nous touche. Il s’inscrit dans un monde qui est presque le nôtre et ainsi sa réalité devient presque palpable.
Ces petits personnages portent en eux toute la diversité des hommes et des femmes. Ils nous rapellent aussi les petits jouets et personnages de nos jeux d’enfant. Ils nous redisent avec malice et tendresse que le petit enfant qui naît dans la crèche porte en lui la transmutation du monde par la transformation de chacun de nous. La présence du Christ est réalité comme dans Matthieu 11 4-5 : « Jésus leur répondit : allez raconter à Jean… les aveugles voient, les boiteux marchent, les sourds entendent… et la Bonne Nouvelle est annoncée aux pauvres. »
Venons nous aussi vers cette crèche avec des yeux d’enfants. Ces cadeaux et cette représentation des métiers, c’est notre vie, notre être véritable que nous offrons à cet enfant Jésus. Nous devenons nous aussi, personnages de cette nativité et nous y cotoyons Joseph, Marie et les bergers, le visible et l’invisible et l’ange « Boufaréo » qui souffle dans sa trompette.
« Je vous le déclare, c’est la vérité : celui qui ne reçoit pas le Royaume de Dieu comme un enfant ne pourra jamais y entrer. » (Luc 18,17)
Entrer dans le Royaume c’est un peu ce que nous faisons avec la tradition de la crèche des santons et de la pastorale. Dans cette naïveté simple, nous nous laissons toucher par la Grâce et le Christ peut ainsi naître aussi dans nos coeurs. Pour conclure mieux vaut regarder avec attention les nombreux personnages et écouter la fin de la pastotrale racontée par l’ange Boufaréo :
– « Et alors, chacun a pris la pose comme chez le photographe mais c’est pour l’Eternité. La sainte Vierge et saint Joseph qui regardent dormir le petit Jésus et qui l’adorent, ils ont la tête penchée sur l’épaule et les mains jointes. Et ça durera jusqu’à la fin du monde.
Le Ravi, les bras en l’air. L’aveugle, appuyé sur sa canne. Pistachié, appuyé sur son fusil. La poissonnière, un panier de poissons de chaque côté de ses hanches énormes. Et le berger, avec son agneau qui dort autour de son cou et son chien qui dort entre ses jambes. Et le boumian, qui a mit amicalement la main sur l’épaule du gendarme. Et le gendarme, qui se lisse la moustache. Et Roustide, avec pour la première fois de sa vie de la joie sur le visage. Et le boeuf et l’âne qui se sont endormis, brisés par l’émotion.
Et personne ne dit plus rien et ils ne bougeront plus jusqu’à la fin des siècles; c’est le destin des santons. Voilà. J’ai dit tout c’que j’avais à vous dire. Excusez-moi si j’ai été un peu bavard, c’est dans mon tempérament mais je vous jure que j’ai dit la franche vérité.
Allez, adieu; je remonte au ciel; soyez heureux; et paix sur la terre aux hommes de bonne volonté. (musique, cloches) FIN »
Père Robert Mure
Sources :
- www.wikipédia.fr : santons de provence et traditions provençales
- www.santons-truffier.fr : histoire du santon en provence
- www.santons-escoffier.com : personnages de la crèche du Père Robert
- les dires de notre famille Marseillaise qui suit la Pastorale annuelle