Ces dernières semaines, plusieurs articles sont parus dans la presse pour évoquer un anniversaire particulier… celui du retour en grâce de l’Action Française. Ce mouvement est apparu à la fin du 19e siècle dans les bouleversements de la société française : disparition de l’ancien régime, laïcité naissante, république incertaine, démocratie balbutiante, anarchie, attentats, scandales… etc
« nationalisme tourneboulé par les affaires et scandales financiers… patriotisme exacerbé contre les fauteurs de désordre : les juifs, les protestants, la République » (1) (On pourrait ajouter à cette liste les francs-maçons, les métèques et sans doute les gallicans de Mgr Giraud ).
L’Action Française prend naissance, en 1899, dans ce terreau fertile « en faveur des structures d’ordre : armée, Eglise, monarchie » (2). Elle est bientôt animée par Charles Maurras qui défend dans son livre « l’amour de la vraie France, aux français de France » (3). cette devise n’est pas sans rappeler la formule plus récente d’un parti politique : « la France aux français ».
Maurras ne veut voir dans le catholicisme romain que la dimension politique de l’Eglise avec le maintien de l’ordre établi et de l’ordre social. Il trouve que « le catholicisme (romain) a adouci le « venin » révolutionnaire de l’Evangile: la grandeur du catholicisme romain est d’avoir purgé l’Eglise du venin du Magnificat. » (4) et voir citation (8). Maurras a le Christ en horreur, mais il va influencer de façon profonde de nombreux catholiques car ils trouvent dans l’Action Française une alliée contre les forces de la République de Waldeck-rousseau et d’Emile Combes. C’est dans cette alliance particulière que se fondent les racines de l’intégrisme catholique français. Elles y rejoignent le catholicisme dit « intégral » et ultramontain issue de Pie IX.
L’Action Française a été condamnée par Rome en 1926 mais ces sanctions ont été levées en juillet 1939 par le pape Pie XII. C’est cette même pensée que l’on retrouve, en 1940, en action dans le gouvernement de Vichy.
« L’essentiel pour ces esprits est que les méchants démocrates soient hors la loi. En Vichy , nous assistons au croisement de l’attitude intégriste et du comportement maurrassien, de l’intégrisme catholique et du nationalisme intégral, sainte alliance qui tenta d’imposer un ordre moral avec l’appui et la complicité d’une Eglise institutionnelle… » (5)
« tous les pétainistes n’étaient pas maurrassiens mais tous les maurrasiens étaient pétainiste » (6).
« Le maurrrassisme nationaliste, antiparlementaire, antisémite, et anti-oecuménique se veut un rempart contre la IIIe République, dévoyée et anticléricale et se répand comme traînée de poudre dans les rangs du clergé et des intellectuels français jusqu’au niveau le plus élevé » (7).
Charles Maurras sera condamné après la guerre pour collaboration mais son oeuvre nourrira d’autres mouvements (OAS, Salazar …). Dans cette origine, se trouvent aujourd’hui des clés de compréhension sur l’attitude et les paroles de Mgr Williamson, de l’archevêque de Récife et même du pape. Cette pensée se situe dans une vision où les paroles du pape et le droit canon priment sur l’Evangile et les paroles du Christ. Cette pensée se situe dans une vision d’une Eglise plus importante que l’Evangile !!! C’est dans cette pensée, qui n’a plus de catholique que le nom, que se présentent encore aujourd’hui les héritiers de Maurras avec les mêmes refus de liberté de conscience et de liberté de pensée.
Ces courants sont divers et variés mais ils se structurent toujours autour d’un refus de la modernité, des autres religions (oecuménisme) et dans une radicalité qui prône la prédominance absolue d’une Eglise « politique » sur une Eglise « spirituelle ».
Pour notre Eglise gallicane, interdite sous Vichy, ces valeurs ne sont pas et ne seront jamais les nôtres. Mais il est important de comprendre que le cadavre de Maurras « bouge encore » dans l’Europe de 2009. Le combat des gallicans est plus que jamais d’actualité. Les différentes déclarations de ces derniers mois ne doivent rien au hasard, les mêmes arbres produisant toujours les mêmes fruits.
Je conclus cet article un peu historique sur un coup de téléphone reçu à la fin du mois de mai. Une personne fréquentant la chapelle Saint Michel Archange de Montbrison nous a annoncé son désir de ne plus s’associer à nos cérémonies car elle ne veut plus des références catholiques… à cause des déclarations de ces derniers mois. Benoit XVI et sa vision d’une Eglise plus importante que l’Evangile éloigne les fidèles… même gallicans.
Père Robert Mure
1) Golias n° 125 : Le retour de l’Action française : citations 1 – 2 – 3 – 4 – 5 – 8
2) , 3), 4), 5), 8) : idem
6) Le Monde des religions n° : aux sources de l’intégrisme catholique
7) : idem
8) : Au début des années 80, à l’occasion de son voyage en Argentine sous la dictature militaire du général Videla, Jean Paul II tronquera le Magnificat des fameux versets : « Il disperse les superbes, il renverse les puissants de leurs trônes, il élève les humbles, il renvoie les riches les mains vides… «
Note de Mgr Thierry Teyssot dans Le Gallican
En complément à l’article rédigé par Père Robert, je crois utile de rappeler deux choses :
1) Lors de la seconde guerre mondiale, Mgr Giraud avait mis à la porte les partisans de la collaboration venus lui proposer la restitution des églises détenues jadis par le mouvement des cultuelles de 1907 en échange d’une prise de position en faveur de l’occupant nazi. En juin 1940 le journal Le Gallican se sabordait, il ne reparaîtra qu’à la Libération.
2) Le journal Le Gallican de janvier 1947 précisait aussi :
» Qu’on réfléchisse, par exemple, dans quelle situation se serait placée l’Eglise Gallicane si, en 1927, lors de la brouille entre la Papauté et l’Action Française, elle avait répondu au voeu des excommuniés. Grâce à leur appoint elle aurait connu, dans certaines régions du moins, un essor rapide. Sa caisse se serait remplie. Mais que se serait-il passé ensuite ? Soit, en 1939, lors de la réconciliation entre l’Action Française et Rome ? Soit, en 1944, après le procès Maurras ? C’eût été l’effondrement et la ruine de 28 ou de 33 ans d’efforts. »
Et Mgr Giraud concluait :
» La leçon de l’Histoire est donc là, patente. Elle affirme hautement qu’une Eglise Gallicane ne pourra s’organiser, vivre, croître et durer qu’à la seule condition d’être totalement indépendante des pouvoirs publics, des cadres et des partis. Et aussi qu’il ne faut point aller demander à Moscou ce qu’elle refuse à Rome. L’Eglise Gallicane, sans doute, est peu importante. On peut compter ses fidèles, ses sympathisants, ses clercs, ses lieux de culte… Et après? L’essentiel demeure pour elle de demeurer indépendante et libre. C’est en cela que malgré sa faiblesse matérielle, qu’elle ne songe d’ailleurs pas à masquer, réside toute sa force d’attraction en puissance. »